Témoignage de Bruce Holmes, un coureur qui a amélioré ses performances grâce à la méthode Feldenkrais. Et qui témoigne de sa rencontre avec l’homme. Très intéressant ! Lire l’article dans sa version originale en anglais (repris du Runner’s World en 1978) . Ci-dessous ma proposition de traduction.
« Il semble que ces jours-ci je rapporte tout à la course. Tout ce que j’ai expérimenté semble en découler ou s’y rapporter. C’est la course qui a créé ma fascination pour les écrits de Moshé Feldenkrais, et la course y a ajouté un intérêt supplémentaire.
Le terme technique pour mon problème est chondromalacie du genou, ce qui signifie simplement un ramollissement ou une détérioration des cartilages. Malheureusement, donner un nom à quelque chose n’aide pas nécessairement quelqu’un à résoudre la situation. Dès que je faisais 50 miles dans la semaine, mes genoux me lâchaient. Je me souviens des moments où je pouvais difficilement marcher.
Je suis allé demander de l’aide dans un centre médical. J’ai vu un pédicure, qui m’a envoyé chez un orthopédiste, qui m’a envoyé chez un kinésithérapeute… Les gens qui ont le savoir avaient l’opinion suivante : je souffrais de ce mal redouté : « la rotule flottante. » Un peu plus tard dans le temps une orthèse aurait probablement aidé, mais mon besoin le plus urgent était les exercices pour les quadriceps. Et s’ils ne travaillaient pas correctement, et bien il y avait cette simple opération qu’ils faisaient apparemment fréquemment.
Les exercices pour les quadriceps ont abouti à la formation de quadriceps très musclés, ils ont presque détruit mon dos, et n’ont rien changé à ma course. En fait, les choses étaient en train de s’empirer. Le symptôme apparaissait a des kilométrages toujours inférieurs. A quelques occasions j’ai remarqué une douce et furtive voix chuchotant doucement à mes oreilles, « Écoutes, tu as une assurance maladie. Une opération ne te coûterait pas grand chose. Tu serais allongé quelques jours. Ils le font tout le temps. Tes soucis seraient terminés. » Mais l’opération n’a jamais eu lieu, et cette histoire est un véritable conte.
« The Way of Moshe » rimes, bien que cela sonne peut-être inconfortablement spirituel. Le travail fait plus souvent référence aux exercices de Feldenkrais. Mais quand vous avez passé un certain temps dans l’environnement du vieil homme, vous êtes susceptibles de saisir le côté mystique de ce qu’il propose et devenir vous-même poète. Le « vieil homme », un homme israélien de 72 ans petit, replet et rayonnant du nom de Moshé Feldenkrais, est probablement le plus sage, le plus drôle et le plus fascinant des hommes que j’ai jamais connu.
Il est le créateur d’une thérapie unique basée sur la capacité énorme d’apprentissage qui rend notre espèce si rare, mais qui nous amène aussi à apprendre de manière incorrecte. Nous pouvons devenir des créatures pleines d’habitudes, nous employant improprement, réagissant aux nouvelles demandes avec des réponses câblées qui sont souvent inefficaces et parfois nuisibles.
La méthode Feldenkrais a eu un énorme effet sur ma manière de courir et sur ma manière de vivre ma vie. Pour quiconque essayant d’utiliser son corps intelligemment, c’est un système de pensée d’une grande valeur.
Il est plus facile de commencer l’histoire en évoquant le parcours de Moshé. Il a obtenu un doctorat en physique, et était ceinture noire de judo, inventeur des clubs de judo en France et auteur de nombreux livres sur le sujet. Avec ces travaux initiaux, vous pouvez voir la pollinisation croisée, les lois de la physique s’appliquant au fonctionnement du corps.
Ensuite, il a eu une blessure au genou qui aurait pu être fatidique. Les médecins ont tristement suggéré cette opération, refusant tout optimisme sur les résultats. Moshé n’a pas aimé le peu de chance de réussite annoncé et a décidé de trouver une solution par lui même. Il s’est immergé dans la neurophysiologie, l’anatomie, les théories sur l’apprentissage, la biochimie, la psychologie, l’anthropologie, tout ce qui lui semblait même vaguement applicable. La méthode globale qui en résulte comprend même l’étude qu’a faite Moshé sur le Zen avec le Dr. Suzuki. Et il a inventé un semblant de solution. Il s’est enseigné à lui-même une manière d’utiliser son genou et, imaginez-vous, le corps a été capable de se soigner lui-même.
Les compréhensions et conclusions qu’il avait atteintes ont été présentées dans un livre, « L’Etre et la Maturité du Comportement ». Aujourd’hui, plus de 25 ans plus tard, il est mentionné comme un travail pionnier, mais à l’époque il a été largement ignoré. Donc Feldenkrais a laissé tout ça derrière lui et est revenu à la physique. Sauf que ça ne s’est pas terminé ici. Des amis malades sont venus le voir, par bouche à oreille.
Finalement, Moshé a renoncé au travail de sa vie, et est devenu « un charlatan » à 50 ans. Pouvez-vous imaginer la pauvre mère juive dont le merveilleux fils physicien a soudainement renoncé à tout pour un processus mystérieux clairement non approuvé par le monde médical ? Et alors que Feldenkrais utilise maintenant le mot « charlatan » avec un malin plaisir, on peut sentir que ça n’a pas toujours été le cas. Il est un homme fier et il y a eu quelques années de chemins difficiles avant que son travail ne commence à être reconnu par les communautés universitaires et médicales.
Pourtant tout semble si évident rétrospectivement. Notre musculature ne fonctionne pas sauf si elle est dirigée par le système nerveux. Quand nous apprenons un sport nous ne formons pas nos corps autant que nos esprits. Un bras n’apprend pas à frapper une balle correctement. Mais le cerveau apprend une série complexe de mécanismes neuronaux pour un schéma et un délai particulier.
La façon dont nous nous tenons ou bougeons est une large matrice d’impulsions neuronales qui fait partie du fonctionnement normal du cerveau (un état qui inclut un entrelacement complexe d’émotions, de pensées, d’impressions sensorielles, d’orientations dans l’espace et dans le temps). Changez votre façon de bouger et ce que vous changez réellement c’est la nature de votre esprit.
Au milieu de toutes les difficultés que j’avais avec mes genoux, l’Institut de Psychologie Humaniste prenait des dispositions pour que le Dr. Feldenkrais vienne en Amérique donner une formation de 3 ans de thérapie en intégration fonctionnelle. Jusqu’à présent il avait formé seulement une poignée d’associés et il était temps de laisser un héritage. Quand j’ai postulé à la formation je ne pouvais pas m’empêcher de me rappeler l’histoire de Feldenkrais et de sa malheureuse blessure au genou. J’allais peut-être trouver une réponse à mes propres problèmes.
L’été 1975 a été l’un des plus satisfaisant de ma vie. Nous étions 65 rassemblés à San Francisco pour les trois premiers mois de la formation. Nous passions nos matinées allongés au sol à faire les exercices de Feldenkrais : des explorations simples et douces en conscience; apprenant les façons dont nous nous limitons nous-même et comment nous pouvons les contourner.
Comme aimait le dire Moshé : » Les gens utilisent à peine 10% de leurs capacités. » Je suppose que de temps en temps nous devions ressembler à une troupe d’apprentis acrobates, savourant les moments où nous améliorions notre souplesse, jusqu’à ce que Moshé nous ramène sur terre. « Cela n’a pas d’importance », s’exclamait-il. « C’est un petit cadeau, mais ce n’est pas le but. Est-ce que Newton était souple ? Personne ne le sait et tout le monde s’en moque. La souplesse est hors de propos. Ce que nous sommes après ce sont des cerveaux souples. »
Avant, pendant et après les exercices Moshé faisait cours et utilisait des astuces, en insistant sur le fait que, à moins que nous nous aimions nous-même, nous ne pourrions pas bien apprendre. Les après-midi il y avait le travail sur les tables. Nous devions devenir sensibles au point qu’en touchant un autre corps nous puissions sentir ce qui s’était mal passé et qu’avec l’aide de nos mains nous aidions quelqu’un à expérimenter une façon plus optimale de fonctionner.
« C’est comme danser », a expliqué une fois Moshé dansant une valse avec une partenaire imaginaire, rayonnant. « Si vous pensez à une fille amicale qui sait danser, et qui vous aime bien et qui veut que vous dansiez avec elle, elle vous prend par la main et soudainement vous pouvez danser exactement comme quelqu’un d’autre. Les deux personnes forment un seul corps bougeant dans une unité. Nous devons établir ce contact humain bilatéral qui est d’une nature la plus délicate qui soit, de manière à ce que la personne sente que vous la guidez là où elle ne peut aller elle-même. »
J’avais eu cette expérience moi-même. Lorsque j’ai appris la danse folklorique avec une partenaire qui était vraiment à l’aise avec ses mouvements. Soudainement je dansais admirablement sans être vraiment capable d’expliquer ce que je faisais.
La compréhension de Moshé du système nerveux a une application qui s’étend de la scoliose (courbure de la colonne vertébrale), la réadaptation de victimes d’attaques cérébrales, la sclérose en plaque (non, ça ne peut pas guérir une sclérose en plaque, mais ça peut aider les personnes luttant avec la maladie à bouger plus facilement), à (l’attente n’était pas vaine) aider les athlètes à améliorer leur performance. Ce qui nous ramène finalement à la chondromalacie de mes genoux et à ma propre expérience du Feldenkrais.
Quelques jours pendant la formation je me suis assis à côté du Dr. Feldenkrais, me présentant, lui demandant de me pardonner mon intrusion, et me lançant dans un récit détaillé sur mes rotules flottantes et mon odyssée à travers le système médical. Au fur et à mesure que je parlais l’expression de son visage est devenue de plus en plus dédaigneuse et montrant de l’impatience et il m’a finalement coupé la parole.
« Absurdités, absurdités. Tes genoux te font mal parce que tu ne sais pas comment courir. Tes pieds sont dans l’erreur. Tu bouges tes genoux de manière incorrecte. Tes adducteurs sont tendus. Ton bassin ne tourne pas. Ton dos est raide. En fait, tu n’as pas du tout de mouvement entre ta première et ta deuxième vertèbres lombaires. »
J’entrais rapidement en état de choc. Mes erreurs semblaient infinies. Et comment diable pouvait-il savoir tout cela ? Il m’a donné l’impression que ça relevait d’un miracle que je ne sois pas dans un fauteuil roulant. Il a terminé son catalogage avec un triste, « tes quadriceps sont faibles », en jetant un coup d’oeil au ciel. Parfois il semblait que la stupidité du monde était trop dure à porter pour le pauvre homme.
Donc j’ai été changé. Mon dos a été lentement détendu et j’ai commencé à travailler sur la rotation de mes hanches. Un jour on m’a expliqué que je faisais un crochet vers l’extérieur avec mon genou gauche à chaque fois que je l’amenais vers l’avant. Pendant ma course ce soir là j’ai concentré toute mon attention sur ce genou, observant de manière aussi non critique que possible sa position à chaque fois que je tirais dessus.
« Ca fait un arc. »
« Mieux. »
« Trop à l’intérieur. »
« Ah, c’est ça. »
A la fin de la course je pouvais dire au centimètre près si le genou passait tout droit ou pas. Et j’ai découvert un outil puissant. La conscience (awareness).
En sentant, examinant, expérimentant mes foulées, je pouvais les rendre moins étrangères à moi-même. Un des préceptes centraux des exercices de Feldenkrais c’est que si vous portez votre attention à un mouvement, le tonus et la qualité vont s’améliorer. « L’attention, l’attention, l’attention », a écrit le maître Zen à propos de la sagesse. Aussi bien la méditation que le travail de Feldenkrais peuvent être définis comme la suppression de l’habituel dans notre vie.
A une autre occasion l’un des assistants de Feldenkrais s’est montré fasciné par mes pieds et a fait ce commentaire, « Regardes, tu as ces arches sous les pieds incroyablement hautes et tes tibias sont dirigés vers les bords externes de tes pieds, qui est l’endroit où tu portes ton poids. Tu sais que tu te tiens comme ça. »
« Moi ? Assurément la façon dont mes pieds sont construits n’est pas de ma faute. »
« Bien sûr, qui d’autre ? Tu maintiens tes pieds dans cette arche. Sans ce resserrement ils seraient beaucoup plus bas. Pour quelque raison que ce soit tu as appris à maintenir tes pieds comme ça. Viens t’allonger sur la table. »
Et alors les mystères ont commencés. Je comprends maintenant ce qui a été fait, mais à ce moment là ça m’a paru tout à fait étrange. Pendant les 30 minutes qui ont suivies mes pieds ont été tirés, poussés, cajolés et ont généralement montré la folie de leur façon d’être. Plus précisément, mon système nerveux a été rééduqué.
Quand je me suis levé c’était tout à fait déconcertant. Ce n’était plus mes pieds. Les arches étaient normales, les tibias se reposaient carrément sur le milieu des pieds. Marcher semblait étrange et même un peu instable, comme si je le faisais mal.
Plus tard cette semaine là alors que j’étais en train de courir j’ai ré-expérimenté mon attitude d’avoir les arches relevées. Soudainement j’étais jeune à nouveau, m’imaginant courir comme un Indien : fort, indomptable, inlassable. Je m’étais dit dans ma tête que les Indiens couraient avec les pieds vers l’intérieur, donc j’y étais, ramenant mes pieds vers l’intérieur, relevant mes arches.
Les résultats de tout ceci ont été impressionnants. Mon problème de genou a disparu. J’ai considérablement augmenté mon kilométrage sans aucune trace de difficulté. Je cours plus rapidement, comme jamais auparavant. Et enfin, et probablement le plus important, ma pointure est passée de 9-1/2 à 10-1/2 lorsque mes pieds sont devenus plus plats.
J’en suis venu à la conclusion que la voie correcte est importante. J’observe les erreurs de mes amis et je suis tenté de dire quelque chose. (Jusqu’ici je me suis tu, préférant des amis lents que des ennemis rapides).
Un grand coup de pied dans le derrière est simplement une perte de temps et d’énergie.
Sauter sur un pied à chaque enjambée vous fait perdre le contact plus longtemps et un travail inutile doit être fait pour atteindre cette élévation inutile.
Comment vos quadriceps peuvent-ils se contracter librement pour lever vos genoux si les ischio-jambiers situés à l’opposé font des heures supplémentaires pour vous tenir debout, essayant d’empêcher votre façon de vous pencher en avant de se transformer en plongeon ? Ne vous penchez pas au niveau de la taille. Penchez vous à partir des chevilles.
Dirigez avec les hanches, et laissez votre buste rester droit au-dessus de vos jambes.
Ne bloquez pas vos articulations des hanches. Une petite fluidité ici peut aider à diriger les genoux en avant. D’autre part, ceci peut être exagéré. Si vos coudes s’écartent trop sur le côté, votre bassin devra être plus en rotation. Et vous ne voulez pas ça non plus.
Et ne vous forcez pas à faire de plus grandes foulées. Si votre pied atterri sur une jambes tendue, vous freinerez votre élan à chaque pas. Une plus petite foulée peut être plus efficace. Atterrissez avec le genou au-dessus du pied.
Je pense que la meilleure suggestion est de vous inviter à devenir conscient de ce que vous faites.
L’été 75 a été une expérience incroyable pour moi. La course est devenue sans effort. J’étais entouré des 65 personnes les plus sympa que je connaisse. Et il y avait toujours Moshé qui nous faisait rire, nous faisait faire des exercices, fronçant les sourcils devant notre manque d’habileté, nous racontant des histoires, réalisant de petits miracles avec ses mains. J’en suis venu à aimer le vieil homme, sa bonté et ses défauts. Je suis reparti avec une philosophie de la vie et une lueur de compréhension. Et un travail considérable à faire.
Liliane Nadeau says
Très très intéressant.
Est-ce que le livre » L’Être et la maturité du comportement » est toujours disponible et ou pouvons nous se le procurer.
Merci
Liliane