Comment les mouvements lents peuvent aider à améliorer la coordination ? Est-ce que les mouvements difficiles et rapides ne sont pas mieux que les mouvements lents et doux ? Cet article (janvier 2010) de Todd Hargrove apporte des réponses. Je propose ci dessous une traduction en français.
« J’ai déjà écrit au sujet des bénéfices apportés par les mouvements lents pour améliorer la coordination. Bien entendu, mes deux pratiques de mouvements préférées, la méthode Feldenkrais et le ‘Z-Health’ reposent en grande partie sur des mouvements lents et conscients comme moyens principaux pour développer la coordination. Beaucoup de personnes se demandent comment des mouvements très lents et petits peuvent aider en quoi que soit. Est-ce que les mouvements difficiles et rapides ne sont pas mieux que les mouvements lents et doux ? Cet article apporte une réponse à cette question.
Il y a plusieurs excellentes raisons de pratiquer des mouvements lents et doux pour favoriser la coordination. Probablement la plus intéressante (je commence avec celle-ci) est celle basée sur le principe peu connu de la loi de Weber Fechner. La loi de Weber Fechner décrit la relation entre l’ampleur d’un stimulus particulier et la capacité du cerveau à sentir les différences quantitatives du stimulus. La règle de base est que lorsque vous augmenter un stimulus, la capacité à sentir la quantité du stimulus diminue. Cela fait appel au bon sens. Imaginez que vous êtes dans une salle totalement dans le noir avec seulement une bougie allumée. Cela va être très facile de sentir la différence quand une bougie supplémentaire sera allumée. Mais si vous êtes dans une pièce emplie de 200 bougies, vous ne saurez pas quand une bougie supplémentaire sera allumée.
Cette règle fonctionne pour une grande variété de perceptions sensorielles, y compris la sensation de l’effort musculaire. Donc, imaginez que vous tenez une livre (environ 50 g) de pommes de terre dans votre main en ayant les yeux bandés. Si une mouche vient se poser dessus vous ne sentirez pas la différence, mais si un petit oiseau le fait, vous le sentirez. Maintenant imaginez que vous portez 50 livres (environ 25 kg) de pommes de terre. Vous ne pourriez pas sentir le petit oiseau venir se poser. Il faudrait un aigle pour ressentir la différence de poids. Ce qui signifie que lorsque vous augmentez le poids de 1 à 50 livres, vous devenez environ 50 fois moins sensibles aux changements qui se font dans la quantité d’effort musculaire que vous utilisez pour porter ce poids.
Pourquoi ceci nous intéresse t’il ? Parce que si vous voulez faire des mouvements plus efficaces, vous devez être capable de sentir si vous faites trop d’efforts. Si vous ralentissez et qu’ainsi vous augmentez votre capacité à sentir les différences de niveau de votre tonus musculaire, vous augmentez la capacité du cerveau à sentir et corriger tout excès potentiel d’effort non nécessaire. Imaginez qu’à chaque fois que vous essayez d’allonger la hanche, vous contractez en même temps légèrement les fléchisseurs de hanche au lieu de les détendre. Cela veut dire que vos muscles ont des motivations opposées – les fléchisseurs combattent légèrement les extenseurs dans leur effort à allonger la jambe, les faisant ainsi trop travailler. Vous serez beaucoup plus capables de sentir et d’empêcher cette co-contraction inefficace en bougeant très lentement et facilement. En opposition, si vous bougez rapidement et avec beaucoup d’effort, vous ne pourrez jamais être capable de sentir ni corriger le problème.
Voici une autre façon de considérer cette question. Dans un article précédent j’ai parlé de la façon dont les mouvements précis dépendent d’une bonne carte proprioceptive. Quand je dis carte j’entends les zones physiques du cerveau responsables du contrôle et du ressenti du mouvement dans chaque partie de notre corps. Ces zones du cerveau ou ‘cartes’ développent leurs connexions neuronales en réponse à la pratique physique et au retour d’informations sensorielles qui en découlent. Donc, par exemple, si vous pratiquez le piano pendant plusieurs années, la partie de votre cerveau qui sent et contrôle le mouvement de vos doigts va commencer à devenir câblée de manière plus complexe et efficace et deviendra même plus grande.
En appliquant la règle de Weber Fechner, nous savons que le mouvement doux mène à une perception plus précise et exigeante des mécaniques du mouvement. En d’autres termes, il y a plus d’informations détaillées et affinées disponibles pour que le cerveau construise la carte des mouvements. La carte devient plus claire avec une meilleure résolution. C’est comme cliquer sur le zoom de Google Maps. Il y a plus de détails, plus de rues transversales sont révélées, plus d’informations sur la manière de bouger cette articulation.
Donc, les mouvements doux et lents vont rendre votre carte de mouvements plus claire. Ils peuvent aussi la rendre plus large, couvrant plus de territoire, parce que le mouvement lent est la meilleure façon d’explorer un nouveau territoire de mouvement. Notre système nerveux central se sent menacé par les nouveaux mouvements, ou par ceux que vous n’avez pas fait depuis des années. Il ne vous permettra de les faire que si vous allez lentement et en douceur. Au Moyen-Age, les cartes du monde se limitaient principalement à l’Europe, et sur les coins il y avait les phrases : Ici vivent les dragons. Vos cartes de mouvement de votre cerveau commencent à y ressembler en prenant de l’âge. Les endroits sûrs et familiers se réduisent, en même temps que les territoires inconnus grandissent. Regardez un enfant jouer pendant 10 minutes et vous verrez beaucoup de mouvements qui ne font plus partie de votre grille de mouvements. Si vous voulez revisiter ces aires, mieux vaut commencer lentement et en douceur.
Cette règle ne s’applique pas seulement aux mouvements difficiles et potentiellement dangereux comme la roue ou le salto arrière. Elle s’applique également aux mouvements de la vie quotidienne tels que tourner la tête pour regarder en arrière ou venir s’accroupir. Il y a une grande variété de façons de faire ces mouvements simples, une centaine d’angles différents possibles pour les articulations et littéralement des millions de schémas musculaires différents pour les exécuter. En devenant plus âgé, vous allez utiliser de moins en moins de ces possibilités de mouvement jusqu’à ce que vous soyez bloqués dans une marge étroite d’options. Par exemple, il y a de grandes chances que deux ou trois de vos vertèbres dorsales ne tournent jamais vers la droite. Ou peut-être qu’il y a un certain angle dans l’articulation de la hanche que vous évitez inconsciemment – disons 30 degrés de flexion plus 10 degrés de rotation externe plus 15 degrés d’abduction. Peut-être que cet angle est devenu un problème après une opération du genou dix années auparavant. Votre système nerveux central a appris à l’éviter, et c’est devenu une habitude. Maintenant, à cause d’une amnésie sensori-motrice, c’est effectivement devenu une zone morte ou Triangle des Bermudes dans votre carte de mouvements. Si vous voulez trouver cette zone, vous allez avoir besoin de bouger lentement et consciemment, parce qu’un mouvement rapide va simplement activer votre façon habituelle de bouger et éviter cette zone. Et quand vous aurez trouvé la zone morte, vous irez doucement, parce que les tissus mous reliés à cette partie seront probablement raides et durs après ces années d’inutilisation.
Une autre raison de bouger lentement et doucement c’est que cela vous permet d’approcher le mouvement comme un explorateur curieux, et de porter plus d’attention sur les subtils détails du mouvement. Devenir mieux coordonné a essentiellement à voir avec la façon de recâbler les circuits neuronaux qui contrôlent le mouvement, ce qui est un exemple de ce processus très à la mode appelé ‘neuroplasticité’. La neuroplasticité c’est simplement la capacité du cerveau à changer. Selon Michael Merzenich et d’autres neuroscientifiques en vue, l’attention et la conscience sont les conditions préalables majeures à la neuroplasticité. Autrement dit, votre cerveau a beaucoup plus de chance de devenir meilleur dans certaines activités si vous y portez une grande attention pendant que vous les faites. Les mouvements lents peuvent favoriser votre capacité à porter attention exactement à ce que vous êtes en train de faire quand vous êtes en train de le faire.
Cela vaut la peine de noter que les plus grands progrès concernant l’apprentissage du mouvement se font dans les deux premières années de la vie, un temps où tous les mouvements sont lents et doux, faits avec une envie d’exploration et avec plein de curiosité. En fait, Moshé Feldenkrais a basé le plus gros de sa méthode sur l’étude du mouvement de l’enfant et du développement moteur.
Il est aussi significatif que beaucoup d’athlètes, de musiciens et de pratiquants d’arts martiaux de haut niveau aient utilisé un entrainement avec des mouvements lents pour améliorer leur performance. Ben Hogan, Monica Seles, et je suis sûr beaucoup d’autres utilisent les mouvements lents dans une part importante de leur entrainement quotidien. Probablement, Tiger Woods a utilisé également la pratique des mouvements lents, et peut-être même pour ses compétitions. Même les porteurs Olympiques, les athlètes les plus puissants du monde, vont passer un temps important à améliorer leur technique en utilisant seulement un manche à balai.
Bien entendu, à un certain point vous devrez accélérer les choses pour utiliser vos compétences dans un monde plus réel, mais il devrait être clair que les mouvements lents présentent des avantages énormes qui ne sont pas présents dans d’autres formes de pratique. »
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